Mesdames et messieurs ;
Il est de coutume depuis plusieurs décennies de déclarer l’ouverture de l’année judiciaire lors d’audiences solennelles comme celle que nous tenons aujourd’hui, sur Haute autorisation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Président du Conseil supérieur du pouvoir judicaire, Que Dieu L’assiste, L’ouverture de l’année judiciaire était régie par un arrêté ministériel issu par autorisation Royale en 1979, renouvelé et complété en 2010.
Aujourd’hui, nous inaugurons l’année judiciaire en application de l’article 8 de la Loi 38-15 relative à l’organisation judiciaire, qui dispose que l’ouverture de l’année judiciaire a lieu, sous la présidence effective de Sa Majesté le Roi ou par son autorisation, à la Cour de cassation ou en tout autre lieu désigné par Sa Majesté, dans une audience solennelle, au début du mois de janvier de chaque année.
Cette inauguration, est l’occasion pour faire connaitre l’activité judiciaire des juridictions du Royaume, les travaux de la Cour de cassation et ses activités et les programmes dont la mise en œuvre est prévue pour la nouvelle année.
L’ouverture de l’année judiciaire redouble de splendeur du fait de votre estimable présence, considérée comme un support au pouvoir judiciaire et honore les hommes et les femmes qui se chargent de la gestion des affaires de la justice, Je vous remercie tous pour votre présence parmi nous.
Mesdames et messieurs ;
Dans deux mois et demi, le pouvoir judiciaire, troisième pouvoir de l’Etat, créé en vertu de la Constitution de 2011, complètera sa septième année.
La phase actuelle est considérée comme la phase de la mise en place de ce pouvoir, de l'établissement des règles de sa construction et de soutien pour ses réalisations au cours des étapes antérieures de son indépendance
Si l’édification de ce pouvoir suit une croissance exponentielle grâce à la présidence effective de Sa Majesté le Roi et son soutien continu, ce soutien s’est manifesté très nettement dans la coopération fructueuse et la communication fluide avec les pouvoirs exécutif et législatif, de ce fait il est de mon devoir de remercier le gouvernement et le parlement pour leur coopération constructive et le sérieux dont ils ont fait preuve lors de leur traitement des textes juridiques et organiques relatifs au fonctionnement du système judiciaire, ce qui a permis au pouvoir judiciaire de réaliser de grandes avancées pour supporter son indépendance qui est essentielle à l’atteinte de la justice et de l’équité entre les parties aux conflits.
A cet égard, grâce à l’étroite coopération avec l’autorité gouvernementale chargée de la justice et l’autorité chargée des finances et du budget, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a continué au cours de l’année précédente à exécuter l’étape actuelle de sa stratégie focalisée sur la consolidation de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Ainsi, la rubrique relative aux indemnités et rémunérations des magistrats a été transférée du budget du Ministère de la justice à celui du Conseil qui a commencé, à partir de janvier 2023, à verser les rémunérations des magistrats, ce qui représente un aspect fondamental de l’indépendance de la justice et le support de l’appartenance des magistrats au pouvoir judiciaire.
En date du 23 mars 2023 a tet publie au bulletin officiel le Dahir n°1.23.36 (du 16 mars 2023) relatif a l’application de la loi organique n° 13.22 modifiant et complétant la loi organique n°100.13 relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et Le Dahir n°1-23-37 portant application de la loi n°14-22 modifiant et complétant la loi organique n°106-13 relative au Statut des magistrats.
Ces deux lois ont comporté de nouvelles dispositions habilitant l’administration du conseil à exercer les diverses prérogatives dont il est chargé, à améliorer et à rationaliser les procédures utilisées pour statuer sur les situations professionnelles des magistrats et de renforcer les garanties qui leurs sont allouées, notamment pour ce qui est des procédures d’évaluation de leur performance ou de mise en place d’une procédure-cadre pour le traitement des fautes professionnelles simples, en guise d’alternative à la procédure disciplinaire, sans oublier l’ajout d’un grade exceptionnel à l’échelle d’avancement des magistrats et sa division en trois grades afin de remédier l’état de stagnation prolongée qui caractérisait l’échelle exceptionnelle.
Les deux lois modifiées ont instauré des dispositions supportant l’éthique professionnelle des magistrats et les valeurs d’intégrité et de transparence et la protection des principes d’indépendance, d’impartialité et de probité.
Ces deux lois organiques ont aussi permis la possibilité de prolonger l’âge du départ à la retraite des magistrats à 75 ans, ce qui permet au système judiciaire de bénéficier des compétences de ses cadres les plus performants, que ce soit pour effectuer certaines tâches, a la Cour de cassation ou autre, ou pour accomplir des fonctions d’encadrement, de moralisation ou de formation. Lesdites lois organiques ont organisé le champ de travail des juges de liaison et les ont dotés des moyens et des procédures de travail ; il est par ailleurs prévu dans la phase à venir de collaborer avec les autorités gouvernementales pour élaborer un texte de loi organique instituant cette disposition.
La loi organique relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a aussi prévu de nouvelles dispositions permettant au Conseil d’encadrer l’efficience judiciaire et de contribuer à sa réalisation, ce qui s’inscrit dans la perspective des dispositions de la loi organique précitée, de coordonner le travail entre le pouvoir judiciaire et le Ministère chargé de la justice dans le but de développer les logiciels informatiques nécessaires au fonctionnement des taches judiciaires au sein des tribunaux, la numérisation des services et procédures d’une part, et d’autre part de permettre au Conseil de superviser le travail judiciaire s’inscrivant dans le cadre de l’accès à la justice et aux procédures judiciaires, du suivi de la performance des magistrats en veillant à adopter les mesures appropriées en vue de son amélioration et son encadrement afin d’augmenter l’efficience judiciaire en particulier le respect des délais indicatifs pour adjuger les cas en application de l’article 120 de la Constitution relatif aux délais raisonnables pour juger les contentieux.
La nouvelle loi a aussi chargé le Conseil du suivi de la rédaction et de l’impression des jugements et arrêts judiciaires et du suivi des travaux de l’administration judiciaire, tels que l’exécution et la notification, qui entrent dans le cadre de l’accès à la justice et des procédures de l’action en justice, en plus du suivi de la jurisprudence judiciaire, de sa catégorisation et de sa publication par tous les moyens disponibles.
À cet égard, le nombre d’arrêts de la Cour de cassation publiés sur le site internet du Conseil a dépassé les 24 000 arrêts. Le Conseil fonde de grands espoirs sur ce travail de publication, lancé il y a deux ans avec pas plus de 7 000 arrêts, en espérant qu’il aide les magistrats et autres praticiens à réaliser la sécurité judiciaire, sachant bien que le portail est accessible à tous, gratuitement à travers plusieurs moteurs de recherche facilement utilisable.
Le Conseil a aussi entrepris cette année la publication de certains arrêts des Cours d'appel et j’incite à ce sujet les responsables judiciaires des différentes juridictions à transmettre au Secrétariat-général du Conseil les arrêts les plus pertinents pour les publier dans la rubrique dédiée aux jugements et arrêts des juridictions de fond.
En application des dispositions de l'article 50 de la Loi organique du Conseil, telle que modifiée, une nouvelle organisation structurelle du Conseil a vu le jour au cours du mois de juillet 2023, censée permettre au Conseil de remplir pleinement son rôle d’amélioration de l’efficience judiciaire des tribunaux, notamment en ce qui concerne les délais judiciaires et les tâches de l'administration judiciaire s’inscrivant dans le cadre de l’accès à la justice et aux procédures judiciaires. Des travaux sont actuellement en cours pour mettre en œuvre cette structuration conformément aux dispositions règlementaires liées aux postes administratifs, de manière à assurer l’efficacité de la stratégie du Conseil.
Pareillement, en application des dispositions du nouvel article 108 bis de la loi organique du Conseil qui le charge d'assurer la formation des magistrats, leur qualification et de l'amélioration de leurs compétences professionnelles au sein de l'institution de formation des magistrats et en étroite collaboration avec le Ministère de la justice, les bases d’un nouveau projet de loi relatif à l’Institut supérieur de la magistrature ont été mises en place. Grâce à la coopération du gouvernement et du Parlement, cette loi fut approuvée et publiée au Bulletin officiel du Royaume en septembre dernier, ce qui a permis la concrétisation de la gestion par le Conseil de l’'Institut supérieur de la magistrature.
Des travaux sont actuellement en cours pour élaborer les textes réglementaires nécessaires au fonctionnement de cette institution qui a contribué pendant six décennies à la formation de dizaines de milliers de magistrats et de cadres judiciaires. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et le Conseil d'administration de l’Institut supérieur de la magistrature concentreront leurs efforts au cours de la période à venir pour le soutient de l’Institut et sa dotation de ressources humaines et matérielles nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions au cours de cette étape caractérisée par l’abondance de défis juridiques et des droits.
Compte tenu du manque important de cadres judiciaire que connaissent les tribunaux du Royaume, et du grand nombre de nouveaux tribunaux prévus au cours des deux prochaines années, l'Institut supérieur de la magistrature est confronté au défi de maintenir la qualité de la formation malgré la réduction de sa durée a une année pendant la période s'étendant à 2028 en application des dispositions exceptionnelles prévues à l'article 72 de la loi n° 37.22 relative à l'Institut supérieur de la magistrature. Il faut mentionner que l’Institut a rempli cette première tâche confiée par l’article précité en assurant la formation en octobre dernier de la 45ème promotion d’attachés de justice, qui compte 250 attachés de justice, auxquels devraient s’ajouter deux autres promotions qui seront diplômées cette année (2024) et qui comptent au total 550 nouveaux attachés de justice, auxquels viendra s’ajouter la nouvelle promotion qui rejoindra l’Institue au cours de la même année.
Tout en plaçant de grands espoirs en ces magistrats de s’acquitter de leur mission de résolution des litiges dans un délai raisonnable et dans le cadre de l'application équitable du droit, le Conseil souligne une fois de plus que la politique judiciaire est appelée à trouver des moyens alternatifs pour la résolution des litiges, notamment pour les affaires simples, de sorte à réduire l’engorgement des tribunaux, sachant que la moyenne de décisions rendues par les magistrats des tribunaux de première instance dépasse les 2000 décisions par an, par magistrat.
Ainsi, les tribunaux du Royaume ont enregistré au cours de l’année précédente (2023) un total de 4.661.927 nouvelles affaires, qui se sont ajoutées au reliquat de l’année 2022 au nombre de 767.847 affaires; ce qui porte le nombre d’affaires pendantes à 5.429.774 affaires, soit une hausse de 335.062 affaires par rapport à l’année 2022. Les juridictions du Royaume ont pu trancher définitivement sur 4.696.203 affaires qui représentent 101% des affaires enregistrées en 2023.
Reliquat de l’année 2022 | Affaires enregistrées en 2023 | Total des affaires pendantes en 2023 | Affaires jugées en 2023 | Reliquat de l’année 2023 |
767.847 | 4.661.927 | 5.429.774 | 4.696.203 | 720.611 |
Pourcentage des affaires jugées d’entre celles enregistrées | 101% |
Pourcentage des affaires enregistrées par rapport au reliquat | 86,48% |
Activité des juridictions de fond
| Reliquat de l’année 2022 | Affaires enregistrées | Affaires pendantes | Affaires jugées | Reliquat de l’année 2023 |
Cour d’appel ordinaires | 93.944 | 376.871 | 470.815 | 323.619 | 143.928 |
TPI ordinaires | 569.564 | 3.860.781 | 4.430.345 | 3.943.895 | 478.878 |
Centres judiciaires | 17.435 | 146.378 | 163.813 | 149.790 | 13.967 |
Total | 680.943 | 4.384.030 | 5.064.973 | 4.417.304 | 636.573 |
Tribunaux de commerce | 6.162 | 11.792 | 17.954 | 13.996 | 3.749 |
Cours d’appel de commerce | 15.485 | 160.106 | 175.591 | 159.174 | 16.254 |
Total | 21.647 | 171.898 | 193.545 | 173.170 | 20.003 |
TPI administratifs | 5.060 | 11.838 | 16.989 | 13.157 | 2.364 |
Cours d’appel administratives | 10.323 | 46.031 | 56.354 | 45.815 | 10.424 |
Total | 15.383 | 57.869 | 73.252 | 58.972 | 12.788 |
Total général des juridictions du Royaume | 717.973 | 4.613.797 | 5.331.770 | 4.649.446 | 669.364 |
Mesdames et messieurs ;
Au cours de l'année précédente, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a continué à mettre en œuvre sa stratégie pour la période 2021-2026. Le taux de réalisation des affaires ayant un délai fixe, a atteint 96% tandis que les mesures durables demeurent en cours de réalisation.
Le Conseil est parvenu à de bons résultats au cours de l’année écoulée, puisqu'il a issu une circulaire fixant les délais indicatifs pour statuer sur les affaires dans un délai raisonnable, dont l’élaboration s’est faite suivant une approche rationnelle visant à respecter les conditions d'un procès équitable et les droits de la défense, dans le cadre d’une méthodologie participative à laquelle ont contribué les responsables judiciaires, partant des résultats d’ études réalisées en se basant sur la réalité pratique du traitement des dossiers au cours des cinq dernières années. Le Conseil espère que ces délais indicatifs aideront les magistrats et les responsables judiciaires à gérer, de manière optimale, les affaires enregistrées par-devant leurs juridictions et à identifier les véritables causes du retard injustifié du prononcé des jugements, afin de les éviter ou de trouver les solutions adéquates pour les surmonter.
En outre, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a approuvé, au cours de l’année précédente, la décision relative à la procédure d'évaluation des performances, qui sera mise en œuvre à partir de cette année et qui devrait permettre d’atteindre un niveau élevé d’équité en matière d’évaluation et d’égalité des chances, en plus de doter le Conseil des mécanismes appropriés pour une résolution rapide des griefs, étant donné les normes objectives et transparentes qu’offre ce modèle qui s’inspirent des dispositions des lois organiques relatives au Conseil et au Statut des magistrats.
Au cours de ses deux sessions de 2023, le Conseil a continué à examiner les situations professionnelles des magistrats, et a pris des décisions importantes à ce sujet, notamment :
- L’avancement de grade au profit de 364 magistrats et
d’échelon au profit de 325 magistrats,
la nomination de 44 responsables judiciaires,
de 73 chefs de sections des affaires de la famille,
de 62 substituts de responsables judiciaires et
la nomination de 1037 magistrats pour effectuer diverses tâches, tandis que d'autres magistrats furent nommés pour siéger dans des commissions.
- Le Conseil a également décidé de la mutation de 404 magistrats,
de la mise à la retraite de 71 magistrats,
de la retraite anticipée de 9 magistrats et
de l’approbation de la démission de 2 magistrats et
de l’approbation du prolongement de l'âge de départ à la retraite pour 279 magistrats.
En matière disciplinaire,
le Conseil a reçu148 rapports d'inspection pour lesquels 70 magistrats ont été soumis au Conseil disciplinaire qui a prononcé 26 sanctions de troisième degré (avertissement et réprimande),
15 sanctions d'exclusion temporaire des fonctions avec mutation,
4 sanctions de révocation et de cessation des fonctions et 7 mises à la retraite d’office.
Le Conseil a également décidé de ne pas sanctionner 18 magistrats et de soumettre 6 d'entre eux à une formation ayant trait à l’objet de la violation commise et de sauvegarder le reste des rapports.
Le Conseil, œuvrant au développement d'un logiciel moderne pour opérationnaliser les critères d'évaluation des magistrats définis conformément à la loi organique du Conseil et au Statut des magistrats, concentrera ses efforts au cours de la période à venir sur la contribution à la numérisation du travail des tribunaux. En effet, la transition vers le tribunal numérique n’est pas une simple volonté circonstancielle, mais plutôt une destinée inéluctable qui doit être réaliser pour que la justice marocaine s’adapte aux transformations mondiales.
Si cette transition exige de disposer de mécanismes, de moyens, de logiciels informatiques et de sessions de formation, elle ne pourra être réalisée qu’avec l’implication des magistrats, qui requiert une coopération étroite entre les institutions du pouvoir judiciaire et le ministère de la Justice pour surmonter les difficultés rencontrées par les magistrats et les fonctionnaires de la justice, et les encourager à accélérer la cadence de la transition numérique, considérée comme la méthode principale pour parvenir à l'efficacité judiciaire que le Conseil est chargé d’améliorer et d’encadrer par la prise des mesures adéquates, en application de l’article 108 bis de la loi organique relative au Conseil, notamment dans le domaine du respect des délais indicatifs et du suivi de la rédaction et de l'impression des décisions judiciaires.
A cet effet, l’article précité confère au Conseil la possibilité de coordonner son action avec l'autorité gouvernementale chargée de la justice : pour contribuer au développement des logiciels informatiques nécessaires à l'exercice des tâches judiciaires au sein des tribunaux et à la numérisation des services et procédures judiciaires, notant en outre que l'article 75 de la loi organique du Conseil compte l'utilisation des moyens technologiques modernes parmi les normes appliquées lors de l’avancement des magistrats. Pour cela, le Conseil incite tous les magistrats du Royaume à adhérer aux projets de modernisation qui seront progressivement mis en œuvre et à adopter une approche de sensibilisation et d’encadrement et de fournir le soutien logistique approprié et les formations nécessaires, en coordination continue avec l'autorité gouvernementale chargée de la justice et les tribunaux.
Mesdames et messieurs ;
L'ouverture de l'année judiciaire a lieu cette année hors du siège de la Cour de Cassation, qui, grâce à l’attention royale de Sa Majesté le Roi, est en cours de réaménagement afin que son siège soit digne de son statut de juridiction suprême du pays. Comme vous pouvez le constater, les travaux sont en cours dans le chantier au nord de cette salle, dans l'espoir que les travaux qui se font sous la supervision du Ministère de la Justice, propriétaire du projet, seront achevés d'ici trois ans. Cela témoigne une fois de plus de la coopération fructueuse entre les différentes autorités.
Bien que la Cour de cassation a quitté son siège depuis l'été dernier, en vue de son réaménagement, et que ses magistrats et cadres travaillent actuellement dans un siège provisoire qui ne répond pas à tous leurs besoins, cela n'a pas empêché ses cadres judiciaires et administratifs de remplir leurs obligations professionnelles, puisque la Cour a continué à gérer les affaires judiciaires avec une grande efficacité et ses Conseillers ont pu statuer sur 46.757 affaires sur les 48.130 nouvelles affaires enregistrées à la Cour de cassation au cours de l'année 2023, soit 97% des affaires enregistrées, et 98.004 affaires restées pendantes, compte tenu du reliquat des années précédentes.
Reliquat de l’année 2022 | Affaires enregistrées en 2023 | Total du reliquat | Affaires jugées en 2023 | Reste | Pourcentage des affaires jugées de celles enregistrées | Pourcentage des affaires jugées du reliquat |
49.874 | 48.130 | 98.004 | 46.757 | 51.247 | 97,15 % | 47,71 % |
Même si ces statistiques révèlent nettement l’effort considérable fourni par les magistrats de la Cour de cassation pour statuer sur des dossiers volumineux, elles dénoncent aussi clairement un dysfonctionnement législatif dans la gestion de la justice de cassation, puisque le reliquat (51.247 affaires) dépasse la capacité des magistrats à statuer (46 757 décisions). Cette situation continue à s’aggraver du fait que le nombre d’affaires enregistrées dépasse, année après année, le nombre d’affaires jugées.
Si nous attirons l’attention chaque année sur cette situation, c’est bien parce que sa résolution dépasse les prérogatives de l’administration judiciaire de la Cour de cassation et dépend de la philosophie législative, qui, selon nous, doit être considérée sous un nouvel angle par le gouvernement et le parlement, afin que la Cour de cassation ne se transforme pas en troisième degré de juridiction, à l'heure où les Constitutions et Chartes internationales ne confèrent qu’un droit de recours en deux degrés. Le rôle de la Cour de cassation est distinct, puisque qu’il tient à l’unification de la jurisprudence et à la garantie de la sécurité judiciaire et nous nous interrogeons aujourd’hui sur la possibilité pour la Cour de cassation de s’acquitter de cette tâche, au moment où l'on constate que certains de ses Conseillers ont rendu plus de 640 décisions au cours de l'année écoulée, un nombre qui dépasse la moyenne des décisions rendues par les magistrats des Cours d’appel.
Aussi, la tâche des présidents des Chambres devient plus complexe à mesure que le nombre d’instances que compte la Chambre augmente (la Chambre pénale, par exemple, compte 12 instances). En sus, le président d’une seule et même instance peut avoir des difficultés à gérer les délibérations de sa propre instance lorsque le nombre de magistrats au sein de celle-ci devient trop important, étant donné que la Cour de cassation met, dans la plupart de ses instances, plus de Conseillers que le minimum prévu par le quorum, pour réaliser une plus grande productivité.
Naturellement, l'augmentation des pourvois en cassation conduit à l’allongement des délais de jugement des affaires. En effet, seulement 40 % environ des affaires civiles sont jugées dans un délai d'un an, tandis que 30 % nécessitent entre un et deux ans et 24 % nécessitent entre deux et trois ans et environ 5 % des affaires sont pendantes devant la Cour de cassation depuis plus de trois ans.
Si la situation n’est pas aussi grave dans la Chambre Criminelle, qui a pu statuer, dans le délai d’une année, sur plus de 86% des affaires enregistrées par-devant elle, et sur 11 % des affaires enregistrées depuis moins de deux ans, la situation pourrait devenir plus complexe dans les années à venir. Ceci fait craindre que le traitement des affaires chroniques datant de plus de deux ans devienne difficile ; c’est pour cela que le bureau de la Cour a résolu lors d’une réunion tenue à la fin de l’année dernière, de remédier efficacement a cette situation au cours de cette année (2024).
En consultant les arrêts rendus par la Cour de cassation, nous remarquons que le taux de cassation ne dépasse pas 23% (26% pour la chambre civile et 10,20% pour la chambre pénale) En effet, sur 46 757 affaires jugées au cours de l’année, seules 10 709 ont été cassées, ce qui démontre que 77 % des pourvois ne sont pas necessaires.
Affaires cassées
| Pourcentage de cassation | Pourcentage de rejet |
Affaires civiles | 25,99 % | 74 % |
Affaires pénales | 20,10 % | 79.90 % |
Total | 22,90 % | 77,10 % |
Compte tenu du coût croissant d’ester en justice, le bon sens suggère qu'autoriser la cassation pour des affaires civiles simples équivaut à un gaspillage de l’argent public, car les dépenses de l'État pour chaque affaire dépassent actuellement le seuil prévu à l’article 353 du Code de procédure civile (vingt mille dirhams). Autrement dit, l'État dépense plus pour les procès des litiges simples que le montant minimum dépensé sur les affaires pour lesquels le recours en cassation est permis ; cette donnée est une raison suffisante pour réviser l’article 353 du Code de procédure civile et pour déterminer une taxe judiciaire qui préviendrait de former, à la légère des recours en cassation. Cette approche doit également être appliquée aux affaires correctionnelles, en augmentant le montant de la caution prévue par l'article 530 du Code de procédure pénale et en supprimant le dernier alinéa de cet article pour donner effet au non-dépôt de cette caution, sachant que l'article précité exempte de ce dépôt les demandeurs en cassation détenus et les personnes indigentes et ne préjudicie donc pas aux conditions d'accès à la justice.
Mesdames et messieurs ;
Malgré le nombre considérable d'affaires et les circonstances matérielles difficiles dans lesquelles travaille la Cour de cassation en cette période, cela n'a pas empêché la Cour de publier plusieurs jurisprudences de grande importance, qu'il nous serait impossible d’énumérer exhaustivement mais, comme à l’accoutumée, nous mentionnerons les règles de certaines d’entre elles.
Dans un arrêt récent prononcé par la troisième instance collégiale de la Chambre pénale en date du 6 décembre 2023, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel n’ayant pas considéré la minorité de la victime comme étant une coercition morale pouvant annihiler sa volonté, sous motif que la relation sexuelle a eu lieu de son propre gré. Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que : « L’enfant mineure est physiquement et moralement immature et il convient en application de la Convention des droits de l’enfant de la protéger de toutes formes d’abus physique, mental et sexuel ; que l’intention d’exploiter la minorité et le manque de maturité d’une mineure pour l’abuser sexuellement est considéré comme violence morale à son encontre susceptible d’anéantir sa volonté qui est incomplète et d’annihiler toute résistance de sa part, vu la différence d’âge entre eux et que, la juridiction de fond, en estimant que l’acte sexuel exercé sur l’enfant mineure était consensuel et sans violence, sans considération au détournement, leurres, promesses mensongères et exploitation abusive de sa minorité par l’accusé majeur qui constituent une coercition morale susceptible d’anéantir sa volonté…font que la décision de la juridiction de fond n’est pas dument motivée et il convient de la casser. » (Arrêt n°1485/3 du 06/12/2023, dossier pénal n°1745/6/3/2023).
Dans un arrêt conjoint de la Chambre civile et de la Chambre commerciale rendu en date du 17 octobre 2023, la Cour de cassation a conclu que « Le juge de fond a agi au-delà de ses compétences en ordonnant à une administration publique d’agir en absence de dispositions légales permettant cela, d’autant plus qu’il a écarté les textes juridiques prévoyant les mesures permettant aux usagers de bénéficier des services de l’administration » (Arrêt n°677/1 du 17/10/2023, dossier civil n°6269/4/1/2022).
Pour sa part, la Chambre foncière a décidé que « Les actes de donation dressés, dans un acte à date certaine, rédigé par un avocat agréé près la Cour de cassation, sous l’égide de l’article 4 du Code des droits réels, sont réputés nuls conformément aux dispositions expresses de l’article 274 du même code qui exige que les actes de donation soient établis par actes authentiques, vu le caractère spécial de ce type d’actes » (Arrêt n°98/1 du 18/04/2023, dossier foncier n°8795/1/1/2021).
La même Chambre a estimé que « Ni le bornage, ni l’immatriculation ne peut donner lieu à la possession du bien Habous du fait de la difficulté d’appliquer la procédure de purge » la juridiction de fond en estimant que « le caractère Habous du bien immeuble est avéré sur déclaration du représentant de la requérante, et en rejetant les moyens de ce dernier qui avance que le bien immeuble objet du conflit n’entre pas dans le domaine forestier, a fondé son jugement sur une base valide » (Arrêt n°66/1 du 23/05/2023, dossier foncier n°5183/1/1/2021).
De son côté, la Chambre commerciale a décidé que « La dissimulation, par la requérante du fait qu’elle faisait l’objet d’une procédure de sauvegarde, au tribunal Arbitral libère ce dernier de la nécessite d’appliquer les lois régissant la difficulté de l’entreprise. Soulever ce fait pour la première fois devant le tribunal n'a aucun effet sur la décision arbitrale. » (Arrêt n°645/1 du 20/12/2023, dossier n°1382/3/1/2021).
Dans un autre arrêt, la même Chambre a déclaré que : « La prescription peut entrainer l’extinction de l’obligation et le délai de déchéance peut causer l’irrecevabilité de l’action. Etant donné que l’écoulement du délai prévu par l’article 35 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 (relative à l'unification de certaines règles du transport aérien international) donne lieu à l’extinction du droit et non à l’irrecevabilité de l’action, il s’agit d’un délai de prescription et non d’un délai de déchéance. » (Arrêt n°656/1 du 27/12/2023, dossier n°1340/3/1/2021).
La Chambre sociale a décidé que « Le salarié doit respecter le règlement intérieur de l'entreprise, sauf s'il prouve qu'il est contraire à l'ordre social général. Son refus de porter des chaussures et un uniforme de travail, afin de préserver sa santé et sa sécurité, constitue une faute grave conformément à l’article 39 du Code du travail, car cela se limite au respect des instruction de l’employeur visant au maintien de la propreté des lieux du travail et de veiller à la garantie des conditions de préservation de la santé des salariés, conformément à la Convention de l’Organisation internationale du travail n°155 de l’année 1981, et enfreint l’article 281 du Code de travail et s’inscrit dans le cadre de la protection du consommateur au vu de la nature de l’activité de l’entreprise à savoir l’industrie alimentaire » (Arrêt n°306/1 du 04/03/2023, dossier social n°3744/5/1/2022).
La même Chambre a déclaré que « rien n’empêche d’exiger l'arbitrage pour résoudre les conflits individuels du travail, et il n'affecte pas l'ordre public social, car les deux parties à la relation de travail, après leur résiliation du contrat, se retrouvent dans les mêmes positions juridiques, tant que la relation de subordination manifestée par des éléments tels que le contrôle, l'orientation et la direction est devenue inexistante. » (Arrêt n°899 du 04/07/2023, dossier social n°1883/5/1/2022).
Quant à la Chambre du Statut personnel, elle a déclaré que « La protection de la filiation est ce à quoi aspire la Charia, qui a reconnu la filiation du divorcé qui continue à avoir une relation conjugale avec son ex-épouse, après leur divorce irrevocable, de manière similaire aux couples mariés. » (Arrêt n°269/1 du 23/05/2023, dossier n°150/2/1/2022).
La même Chambre a estimé que la juridiction de fond a basé sa décision sur une base valide en considérant que « La mère qui a la garde n’a pas refusé d’exécuter la décision ordonnant de lui retirer la garde car la fille sujet de la garde, a exprimé son désir de rester avec sa mère vu que celle-ci a atteint l'âge de 16 ans qui lui donne le droit de choisir, et qu’elle vit réellement et effectivement avec sa mère » (Arrêt n°210/2 du 09/05/2023, dossier n°729/2/2/2022).
La Chambre administrative a considéré que « L'obtention d'une licence de morcèlement sans l’utiliser, avec la preuve de l’exploitation agricole jusqu'au-delà de l’expiration de la validité de cette licence, limitée à 6 mois à compter de la date de sa délivrance, le défaut d’utilisation de ladite licence équivaut son inexistence. Par conséquent, il faut appliquer l'article 42 de la loi n ° 47-06 relative aux impôts des collectivités locales qui exonère de l’impôt sur les terrains urbains et les terrains destinés à l’exploitation agricole même s’ils se trouvent dans le périmètre urbain. » (Arrêt n°06/2 du 05/01/2023, dossier n°3266/4/2/2022).
Ladite Chambre a aussi estimé que « Si le principe est que les décisions de la Cour de cassation ne peuvent faire l’objet de tierce opposition, l'alinéa " C " de l’article 379 du code de procédure civile pose une exception à ce principe en permettant la tierce opposition contre les décisions rendues par la Cour de cassation au sujet des recours en annulation des décisions des autorités administratives. C’est-à-dire que ce recours se limite aux demandes en annulation des décisions administratives sur lesquelles la Cour de cassation est compétente pour statuer en premier et dernier ressort » (Arrêt n°155/1 du 16/02/2023, dossier n°3864/4/1/2019).
Mesdames et messieurs ;
Nous organisons cette séance d'ouverture de l'année judiciaire 2024 sous le slogan « Le sérieux de la performance judiciaire part de la crédibilité de l'engagement éthique », à travers ce slogan, la Cour de cassation souhaite faire part de son engagement à l'appel lancé par Sa Majesté le Roi, à travers le discours du Trône de l’année 2023, à l’ensemble des composantes de la société marocaine de faire preuve de sérieux et de détermination, lorsque Sa Majesté le Roi a déclaré : «Le sérieux doit constamment définir notre ligne de conduite, dans la vie de tous les jours comme au travail. Par conséquent, il doit être de rigueur dans tous les secteurs d’activité : dans le domaine politique, administratif et judiciaire, il importe que prévale le dévouement au service du citoyen, par l’identification de profils qualifiés, par la primauté accordée aux intérêts supérieurs de la Nation et des citoyens, loin des surenchères et des calculs étroits. » Sa Majesté a poursuivi en ajoutant « Le sérieux que Nous préconisons est une approche intégrée qui subordonne l’exercice de la responsabilité à l’exigence de reddition des comptes et fait prévaloir les règles de bonne gouvernance, la valeur travail, le mérite et l’égalité des chances. »
La magistrature étant une profession encadrée par l’éthique et fondée sur des principes et des valeurs nobles, elle conduit au dévouement au travail et le juge prête serment à cet effet avant de commencer à exercer ses fonctions judiciaires. Encadrer l'année judiciaire en cours par ce slogan vise à rappeler à tous les magistrats du Royaume leurs responsabilités et à susciter en eux l'enthousiasme pour poursuivre leurs efforts d'adhésion à la déontologie judiciaire, et faire de leur conscience le premier garant du respect de celle-ci et de faire preuve de sincérité, de dévouement et de sérieux dans l’exercice du devoir professionnel, qui sont à même de dorer l’image des magistrats et d’élever leur statut symbolique au sein de la société et de renforcer la confiance des citoyens en leurs décisions.
Wa assalamou alaykoum wa rahmatou Allah.
Section16, Hay Riyad, CP 1789, Rabat
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